Voici un passage du roman, situé dans les premiers chapitres pour ne rien spoiler. 

bonne lecture 

Dimanche 10 avril

 

 

Ludovic à Prapic

 

 

Le lendemain matin, il se rendit en voiture à Prapic car il se souvenait que la route en graviers menant au chalet, était impraticable à moto. Le petit village des Hautes-Alpes où la jeune fille avait grandi, était situé au pied de la station d’Orcières Merlette, non loin de Gap. Ce hameau construit en pierres, avait le charme particulier de la région.

Il le dépassa et, roulant prudemment, emprunta le chemin pour rejoindre directement le domicile de Wihéa. La maison de bois et de pierres était toujours aussi singulière, nichée dans son écrin de verdure. Le cœur du détective s’emplit d’espoir en voyant les volets ouverts et le jardin bien entretenu.

Cependant, cette perspective fut rapidement anéantie lorsqu’il aperçut une femme d’un certain âge près du puits. De stature un peu forte et vêtue d’une blouse bleue, elle arrachait les herbes autour de splendides rosiers.

Il descendit de voiture. L’air frais et pur des montagnes envahit ses poumons, la terre dégageait un parfum humide. Les oiseaux chantaient avec une telle intensité que Ludovic se sentit brièvement troublé par la beauté sauvage de cet endroit. Il prit une veste et se dirigea vers le chalet.

Il avait déjà interrogé Micheline Mourillat lors de sa première enquête, mais elle ne le reconnu pas.

— C’est loin douze ans, à mon âge, vous savez ! Mais je me souviens maintenant. Vous recherchiez Wihéa. Que puis-je faire pour vous ?

— Je reprends mes recherches. Avez-vous eu de ses nouvelles ?

— Aucune, je ne comprends pas. Heureusement qu’elle m’avait laissé une procuration pour gérer les frais du chalet et de la maison au cœur du village qui est actuellement louée. Jamais je n’aurais pu penser qu’elle disparaitrait ainsi, elle était tellement attachée à son village, à son chalet.

— Vous étiez de la famille ?

— J’étais une amie de sa grand-mère… Je suis aussi la mère de son amoureux. Mon fils n’a jamais abandonné l’idée de la retrouver. Ils étaient si proches ! Si vous les aviez vus, enfants !

Ludovic sentit que la dame allait partir dans une histoire un peu longue pour lui. Alors, en prenant ses précautions, il l’interrompit.

— Et dites-moi, votre fils, il a des informations, des pistes ?

Comme elle secoua la tête avec une petite moue, il insista :

— Puis-je le rencontrer ?

— Oh mon pauvre ami, il vient de partir en Guyane. Wihéa lui avait parlé du voyage qu’elle y avait fait.

— Il pense la trouver là-bas ? s’étonna Ludovic.

Elle haussa les épaules, comme si cela la dépassait un peu. Il fit une pause pour trouver ses mots puis demanda :

— Il n’envisage pas qu’elle puisse être décédée ?

— Non, impossible, répliqua d’un air convaincu madame Mourillat. Venez, je vais vous montrer.

D’un pas ferme et décidé, elle se dirigea vers le côté est du chalet, où de ravissantes fleurs rouges et roses s’épanouissaient contre le muret. Elle s’arrêta et indiqua de la main les massifs, avec une expression très solennelle, infiniment respectueuse.

Ludovic observa l’ensemble et, d’un air interrogateur, s’enquit :

— Euh… oui et donc ?

— Ah oui, je vais vous expliquer. La grand-mère de Wihéa, Célyana, m’a toujours dit que ce jardin était très spécial et c’est vrai. Chaque floraison reflète l’énergie d’un membre de la famille. Quand une personne meurt ou disparaît, les fleurs changent.

Elle le regarda, il était perplexe et cela la fit sourire.

— Les fleurs jaunes par exemple…

— Jaune ? Mais il n’y en a pas.

— Justement, insista-t-elle. Elles représentaient Célyana et, tenez-vous bien, elles ont disparu le lendemain de sa mort. Pour sa mère, elles étaient bleues, pour sa grand-mère, blanches.

Ludovic étouffa une furieuse envie de rire. Il n’avait aucune idée de la façon dont ces fleurs jaunes s’étaient évaporées, mais de là à dire que… dire quoi d’ailleurs ?

Devant son air sceptique, elle continua ses explications :

— Simplement, Célyana morte, elles mouraient aussi. Bon, je sens bien que cela vous étonne, mais mon fils lui, était très proche de cette sorcière. Oh, ne me regardez pas de cette manière, c’est bien connu que ce chalet est ensorcelé et cela explique les disparitions.

— Disparitions ? Quelles disparitions ? Celle de Wihéa ?

— Mais non ! Vous ne suivez pas ! Celle des fleurs des massifs jaunes, bleus et blancs.

Le détective retint un soupir, elle l’avait perdu avec tous ses discours. Il tenta de revenir à la base de la discussion :

— Donc Joël votre fils, pense qu’elle est vivante et vous aussi.

— Voilà, c’est cela que je vous précisais. Les fleurs rouges sont toujours là, c’étaient les siennes, donc…

Comme elle attendait qu’il finisse sa phrase, il se lança :

—  donc elle serait toujours vivante.

Elle le regardait, les mains sur les hanches, heureuse de lui avoir fait comprendre ce phénomène. Enfin il lui en laissa l’illusion. Il n’y croyait absolument pas, pourtant lorsqu’un rayon de soleil illumina un massif un peu plus loin, il fronça les sourcils, se prit au jeu et tenta d’en savoir plus, combattant sa rationalité :

— Et toutes ces petites fleurs roses sous le soleil ?

— Les premières sont apparues un matin, sept mois après le départ de Wihéa. Mon fils prétend qu’elle a eu une fille, leur enfant à tous les deux. C’est sans doute la raison pour laquelle il la recherche inlassablement. Et, les petites blanches sont nées, il y a presque six ans, elle a dû avoir une autre fillette.

— Et cela n’a pas arrêté Joël ? Elle a sans doute, refait sa vie, non ?

— Oh, mais lui aussi. Enfin bref, je ne peux rien vous dire de plus. Je dois continuer de m’occuper des rosiers.

Micheline avait bien senti les réserves de cet homme et cela l’avait peinée, car elle voulait y croire elle, à ces floraisons spéciales.

 

Ludovic, bien que sceptique face à ces conclusions surnaturelles, se força à garder une expression neutre. Ce genre de croyances ne faisait pas partie de son monde mais il ne voulait pas offenser Micheline. Il nota dans son carnet que Wihéa n’avait pas remis les pieds à Prapic.

Il n’était vraiment pas plus avancé et il ne pouvait pas compter sur Joël, perdu dans la forêt vierge. Il jeta un dernier regard au chalet, qui de part son allure singulière, semblait tout droit sortie d’un conte. « Une maison de sorcières », pensa-t-il en esquissant un sourire.

Alors qu’il s’éloignait vers sa voiture, il sentit soudain comme un courant d’air froid qui le fit frissonner. Le même courant d’air froid qu’il avait senti dans la cave. Il se retourna instinctivement, balayant des yeux le jardin dans lequel Micheline s’affairait toujours, mais rien ne bougeait. Le soleil continuait d’illuminer le muret fleuri. Étrange !

Il secoua la tête pour chasser cette impression et monta dans sa voiture. Il adressa un dernier signe amical à Micheline avant de s’éloigner sur le chemin caillouteux.

 

 

Flottant légèrement au-dessus du jardin, Célyana avait observé toute la scène. Elle aurait aimé expliquer à Ludovic que les fleurs vibraient d’une énergie spéciale. Personne ne les cultivait, elles étaient. Même si Wihéa et ses filles vivaient loin, leur esprit faisait partie du jardin, elles étaient dans la lignée de sorcières. Seulement, il n’était pas prêt à entendre cela, pas encore.

Ses pensées dérivèrent vers Micheline et elle tourna un moment autour d’elle. Son amie soudain se redressa en souriant. Elle avait ressenti sa présence. Elle regarda le ciel et pria :

— Célyana, si tu m’entends, peux-tu aider cet homme à retrouver Wihéa, cela fait trop longtemps qu’elle est partie, elle nous manque tellement ! Si au moins, on pouvait savoir comment elle va. 

L’entité lui répondit qu’elle s’en occupait, malheureusement, Micheline n’avait pas les capacités de l’entendre, alors la sorcière fit virevolter une plume qui vint se poser sur son bras. La maman de Joël observa sa manche et en eut les larmes aux yeux. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pas eu de signe de son amie.

— Merci mon amie, ce détective et…  J’aimerais…

Elle mit sa main sur son cœur, trop émue pour parler. Elle ne voulait pas de donner de fausse joie, alors elle reprit la taille du rosier.

 

Soudain, Ludivine se matérialisa à côté de Célyana, lueur douce dans l’éther qui les entourait. Même si elles n’avaient plus de corps physiques, leurs présences se ressentaient explicitement l’une pour l’autre.

— Ludivine, je savais que vous n’étiez pas loin.

— Je ne peux m’éloigner de mon petit Angelo… surtout depuis que son père est parti. Il a besoin de moi plus que jamais.

Célyana connaissait la force de l’amour de Ludivine pour le fils qu’elle avait eu avec Joël, un amour si puissant qu’il transcendait les frontières de la vie et de la mort.

— Je comprends. Angelo a beaucoup de potentiel, mais il est encore si jeune et un peu turbulent, il me semble. Allons, vous savez bien que vous pouvez être aussi vers son père. Nous devons observer ce qu’il vit en Guyane.

 

Le monde physique se plia autour d’elles, comme si l’espace n’était qu’un voile léger qu’il suffisait de traverser. En un clin d’œil, elles se retrouvèrent au-dessus de l’Atlantique, virevoltant à travers des cieux insondables, portées par une énergie de plus en plus chaude.